Chapitre II de 73 à 85
J'avais déjà bien bourlinguer dans le sud et l'hiver arrivait. Passer le Noël 1974 au chaud était une nécessité et je remontais sur la région de Dreux. A cette époque la faune étiquetée « Baba cool », dans une agglomération de 30 000 habitants, ne dépassait pas la centaine de personnes. Nous nous connaissions tous car très reconnaissables dans la rue, et les rares concerts et festivals de la région nous avaient forcément réunis. S'il n'était pas difficile de passer ses soirées à écouter des disques en fumant des joints chez les uns ou chez les autres, assumer sa subsistance restait une constante du quotidien.
En 1974, trouver du boulot était chose facile, le plus dur était de tenir le coup pour faire ces missions d'intérim dans les conditions des postes de travail d'usines de l'époque. Ma rupture avec cette société qui me paraissait absurde, et ma soif de liberté qui était si grande, m'ont conduit à faire des choix radicaux pour survivre avec mes premières idées d'homme libre.
Cette obstination à une vie autre et pour un monde meilleur m'a conduit à supporter le froid des nuits passées dans les caves d'immeubles et dans un ultime recours, à une retraite solitaire de plusieurs mois pour vivre dans une grotte en pleine forêt. Malgré mon application à être discret, ma vie chez les sangliers fut écourtée par la dénonciation des chasseurs et la recherche d'un mystérieux ermites par les forces de l'ordre.
Je regagnais la ville où je trouvais une âme charitable pour m'héberger et quelques temps après, je rencontrais un musicien qui vivait dans une caravane sur le terrain d'une église à côté de laquelle il y avait une petite salle en préfabriqué où nous pouvions répéter.
Le premier duo acoustique avec Dominique Hyrel fut un cap dans ma vie de musicien, car je suis passé de la manche sur les terrasses des restaurants de la côte, à des concerts payés dans les centres socioculturels, ce qui était déjà une certaine reconnaissance de nos premières compositions.
Luc Arténo (à gauche) et Dominique Hyrel à Lucé (28) en 1974
En, 1975, un orchestre de bal qui répétait dans le même préfabriqué que nous, cherchait un bassiste ; trop content de pouvoir gagner de l'argent avec la musique, et après une brève audition réussie avec la basse et l'ampli prêté par le bassiste du groupe « Mandragore » avec lequel je répétais, je découvris les joies de la vignette de musicien salarié, les bagarres une fois sur deux, avec lancé de cannettes de bières, et surtout le superbe répertoire variétoche et musette de l'orchestre « Jean-Luc Linssart ».
En 1975 j'ai également découvert l'agréable confort de vivre chez une copine, ce qui m'a permis d'écrire et d'enregistrer sur un mini cassette, mes premières séries de chansons et une comédie musicale intitulée « la marionnette de mentalus ».
Au printemps 1976, je quitte la concubine pour repartir vers de nouvelles aventures. Le groupe de Dreux végète et moi j'ai besoin d'air. Au hasard des rencontres, je finis par aller vivre 4 mois dans une communauté en Ardèche. Dans ce genre de lieu où le passage est éclectique et international, je ne manque aucune occasion de sortir ma guitare. En fait, quasiment tous les soirs je jouais avec d'autres musiciens de passage, pour des bœufs monstrueux qui ravissaient la tribu étalée sur des coussins, les narcoses aidant, je délirais complètement sur des désaccordages que je réalisais sans m'arrêter de jouer. C'est une période où j'ai également développé mon scat, car j'oubliais la poésie de la chanson pour me concentrer sur la musique, et la voix devenait un instrument à part entière et multitimbrales. C'est à ce moment là que j'ai commencé à forger ma symbiose guitare/voix.
L'après-midi, j'allais mener et garder le troupeau de chèvres en montagne. Cette vie en pleine nature où il fallait assurer sa subsistance de manière autonome, me convenait complètement. L'utopie d'un monde où l'amour serait roi m'habitait et était partager par mes amis du moment, et finalement, que vouloir de plus qu'une vie simple, où la recherche de croissance n'est que dans la perspective spirituelle.
Et pourtant j'étais là depuis quelques heures, assis sur un promontoire rocheux surplombant la pâture où se trouvaient mes chèvres, et tout à coup la luminosité ambiante me parut plus forte, comme si la lumière du soleil doublait d'intensité ; la seconde suivante, une musique faite de son de cristal, de violon haut perché et de voix humaines innombrables et harmonisées me descendait dans l'oreille droite ; la troisième seconde fut pour exprimer ce « OUHA » inaudible, en ouvrant la bouche d'un air hébété, et démarrer un processus de réflexions qui arrêta instantanément ce moment magique.
Etait-ce un relent de trip ou le cagnard de l'Ardèche durant la canicule de 76 ? Toujours est-il que je redescendis de la montagne convaincu que le ciel m'avait soufflé à l'oreille de consacrer ma vie à la musique. Le lendemain je quittai la communauté, persuadé de prendre la route vers mon destin de musicien.
De retour à Dreux pour l'hiver 76-77, j'ai surtout tenté le maximum de projets avec les musiciens que je connaissais. Mais les belles idées furent constamment sapées par les obligations de subsistance, car nous étions presque tous de milieux modestes. Et puis, il faut bien l'admettre, la petite défonce du soir n'a jamais aidé à travailler sérieusement la musique après une journée de boulot. Vivant en communauté avec d'autres musiciens, je reprends mon travail d'écriture pour un répertoire de musique plutôt pop, rock et jazz progressifs avec, comme influences principales Génésis, Camel, King Crimson, Gong, Frank Zappa, etc... C'est un groupe à géométrie variable et, si les répètes sont enrichissantes et nous font évoluer, peu de choses concrètes ouvrant sur le monde professionnel vont en sortir.
Avec mon ami Michel Grandjean, bassiste du groupe, on décide de faire un périple en mobylette (ça change du stop), durant les vacances de l'été 77. Un soir de juin, après avoir fait le tour du Massif Central la guitare accrochée dans le dos, on rencontre, sur la Place d'Armes de Poitiers, deux copines chez qui on passera la nuit. Plus tard lors d'un concert en plein air j'ai craqué pour Viviane. Ce fut un bien bon séjour à Poitiers. Un mois plus tard, Viviane débarquait dans l'appart communautaire du groupe, et désarmé, j'ai reconnu que j'avais trouvé ma muse .
pose en route pour un festival en suisse en 1977-----------------(photo prise par viviane)
Michel Grandjean(basse)Robert patten(batterie)Dominique Hyrel(guitare)Luc Arténo(guit-chant)
Depuis presque une année déjà pour subvenir à mes besoins, j'avais trouvé mieux que les boulots d'usine ou les saisons agricoles. Je cumulais des petits boulots qui m'intéressaient. Tout d'abord, j'avais trouvé à utiliser mes talents de dessinateur en travaillant quelques heures par semaine le matin au journal « L'Action Républicaine ». Je faisais de temps en temps des dessins pour les publicités et de la mise en page sur table lumineuse. Cela payait trois francs six sous, mais j'aimais bien ce job. Ensuite, j'avais trouvé, pour le soir et la nuit, une place de disc-jockey ; ça c'était crevant, 21 h à 2 h du matin, parfois 4 h, ça payait pas grand chose non plus, mais c'était un truc en or pour tomber les filles. Je continuais à faire des bals quand cela était possible de me faire remplacer en régie, et pour l'après-midi, après avoir suivi une petite formation chez un facteur de piano, je bossais pour un magasin d'instruments de musique. Là je réparais et accordais des vieux pianos et je customisais des guitares. Je faisais donc un peu d'électronique et cette période a été très enrichissante pour mon expérience technique sur les pratiques du matos de musique et de sonorisation.
Luc jouant sur un disque dans la boite où il est DJ en 1977
C'est en cet automne 77 que l'émission « la grande parade de Michel Drucker » enregistrait à la salle des fêtes de Dreux ; le groupe étant trop explosé, je décidais de concourir au radio-crochet seul avec une de mes chansons.
A 21 ans j'avais déjà de sacrées prétentions, trop certainement pour ce que je valais vraiment, mais j'étais tellement sûr de moi que je me permis un vrai comportement de trou-du-cul en disant à mon patron qui tenait le magasin d'instruments et qui concourait lui aussi au radio-crochet « qu'il était inutile de répéter car c'est moi qui gagnerai ». Ma chanson « Cinderella » a fait un tabac et j'ai effectivement gagné ce concours.
C'est quand même ma première salle d'environ 1000 places qui a explosé à la dernière note de guitare. J'ai pris cette onde de choc en plein cœur, puis à nouveau quand le jury populaire, présidé par la doyenne de France, me donna les meilleures notes possibles.
De retour dans les coulisses, je me retrouve dans les bras de Johnny Stark, le grand imprésario, qui était là parce que Mireille Mathieu chantait après. Il me parlait déjà d'une tournée et Laurent Voulsy me dit en aparté que c'était bon pour moi que Starck fasse prendre mes coordonnées par sa secrétaire.
La suite est moins sympa, le concours des quarts de finale à Paris dans les studios de RTL, avec l'animateur Fabrice, me donna ex aequo avec un groupe qui interprétait une chanson connue et pour la demi finale, ce ne fut plus un jury populaire, mais des pros et notamment des auteurs compositeurs très connus, qui me sortirent comme une merde avec ma chanson. Même l'orchestre qui m'avait accompagné les 2 fois précédentes prétendait ne pas l'avoir fait, et m'accompagna finalement merdiquement. En fait, les dés étaient pipés au profit d'une petite pétasse qui interprétait probablement une chanson de ceux qui allaient me juger. D'ailleurs, le régisseur du plateau qui m'encourageait à persévérer, m'informa à l'avance que la chanteuse bien roulée était la gagnante.
Je suis rentré la queue entre les jambes, écœuré par ce système injuste et me promis de ne jamais remettre les pieds, et surtout mon cœur, dans ce milieu pourri, cynique et complètement dominant et oppresseur d'une émergence artistique authentique. J'ai pris conscience que la route serait longue, que cette dimension sacrée de la musique n'existait que dans ma tête. Blessé, instinctivement je me préparais à traverser une longue période où le monde serait sourd à mes mots, à mes notes, à ma quête.
En 1978, on quittait définitivement la région de Dreux où les soirées se ressemblaient trop, pour s'installer avec Viviane à Poitiers, puis à Paris jusqu'à l'été 1981. Les trois années qui s'écoulent sont délirantes, les différentes tentatives de groupe à Poitiers échouent. Je me replie dans le dessin, la peinture, la sculpture (disciplines que je partage avec mon ami Michel), puis je construis mon premier synthétiseur-guitare et commence de véritables séances d'enregistrements avec 2 magnétophones à bandes et la technique du RERE (son sur son en mono). Je suis dans l'expérience totale et j'ai fini par avancer seul dans ma démarche comme un autiste.
Luc avec sa double manche SG Gibson à Paris en 1979
Je ne pense plus au groupe que je ne peux contrôler faute de moyens et d'ailleurs, je ne contrôle plus grand chose car je plane comme une plume dans le vent et nous glissons doucement vers cet enfer qui emportera à tout jamais le batteur Robert Patten et quelques autres.
Je vends mes toiles pour subsister et la glissade n'en finit pas. Après avoir posé le pied sur le fond des grandes illusions, mon oncle Etienne nous prend sous son aile à Châteaudun. Là je peux finir d'enregistrer sur mon matos les morceaux instrumentaux de musique figurative que j'ai composés pour un conte intitulé « Hôme » que j'ai écrit à cette même période.
Afin de trouver un nouveau point de départ il n'est plus question de vivre à Paris, et mon oncle nous trouve pour 6 mois une petite maison en pleine campagne berrichonne. Ce semestre vide de toute urbanité, nous a permis d'oublier la teuf perpétuelle et de bâtir un projet de vie qui rentre dans les critères habituels de la société. On espérait à l'époque qu'une vie plus rangée permettrait de créer les conditions pour monter un petit studio d'enregistrement, et ainsi faire avancer concrètement mes projets musicaux.
De 1982 à 1985 se seront quatre années harassantes à la tête d'une petite entreprise de bâtiment, mais les croche-pattes, les entraves administratives et mon esprit bien trop gentil pour un monde aussi féroce m'auront conduis à une nouvelle impasse .
En 1985 c'est la dèche complète et pour repartir d'un bon pied, je vends tous mon matos et ne garde qu'une guitare, un magnéto, mes bandes magnétiques et mes cahiers. Direction le Nouveau Monde. Mes années psychédéliques sont déjà loin et je traverse maintenant l'Atlantique pour trouver une terre où je pourrai me reconstruire et renaître.
à suivre...